Editions l’Echappée, 2009, 158 p., 15 euros
« De toute manière, je ne me suis jamais considéré comme un cinéaste, je resterai toujours un instituteur des quartiers nord, fils d’un docker et d’une poissonnière de Marseille qui aime passionnément le cinéma ». C’est ainsi, avec une modestie caractéristique des personnes issues de milieux populaires, que Paul Carpita conclue son témoignage dans ce livre-entretien que lui consacre Pascal Tessaud. Et pourtant, Carpita n’est pas qu’un simple « cinéaste du dimanche » comme l’ont cru trop rapidement les « professionnels de la profession » de naguère. Il est au contraire un cinéaste de premier plan, avant-gardiste, moderne, incontournable – appelez-le comme vous voulez – un cinéaste sous-estimé, assurément, mais surtout… oublié. Et pourtant, son Rendez-vous des quais (1955) est assurément, comme le souligne Jean-Pierre Thorn dans la postface, « le maillon manquant du cinéma français », le trait d’union entre Toni de Renoir et A bout de souffle de Godard.
Il est surtout le seul représentant d’un hypothétique néoréalisme à la française, mort-né, tué dans l’œuf par la censure. Censure de l’Etat français d’une part, empêtré dans ses guerres coloniales, censure du PC ensuite qui vote les plein pouvoir à Guy Mollet en 1956 et tente d’étouffer les divisions, censure des historiens du cinéma enfin, et plus largement de nos élites cinéphiles. Et tout ça pourquoi ? Tout simplement parce que, comme le dit Pascal Tessaud avec un brin de colère, « on a voulu faire taire l’expression artistique la plus digne et la plus inspirée issue de la classe ouvrière ».
Voilà, ce petit livre rouge, édité par les dynamiques éditions L’Echappée, outre sa qualité de témoignage historique, est aussi et surtout une manière de manuel pour cinéastes francs-tireurs, un outil salutaire pour tous ceux, notamment parmi les jeunes issus de milieux populaires, qui voudraient reprendre le flambeau et témoigner coûte que coûte de leur vécu. Une nécessité toujours d’actualité, comme le constate Pascal Tessaud, réalisateur du remarqué Slam, ce qui nous brûle (2007) : « Car les questions que tu te posais dès la fin de la guerre, livrées ici spontanément, sans autocensure, sont inexorablement les mêmes que celles que la jeune génération doit se poser pour être toujours en éveil, en résistance, au cœur du monde, non pas à côté ni au-dessus ». Et quel plus bel hommage que de confier la préface à Ken Loach, cet autre cinéaste résistant qui a su, plus qu’aucun autre, filmer avec justesse la classe ouvrière. Loach qui écrit : « Depuis l’interdiction de son œuvre, Paul Carpita a mené une vie modeste. Preuve ultime, si nécessaire, de son intégrité. Il est temps que nous le reconnaissions enfin comme un héros ». Maleureusement Carpita aura tout juste le temps d’apprécier l’hommage qui lui est ici rendu avant de nous quitter seulement quelques mois après la parution de ce livre.
R.D.